samedi 5 avril 2014

Le jardin des Supplices




"Aux prêtres, Aux soldats, Aux juges,
Aux hommes
qui éduquent, dirigent, gouvernent les hommes,
je dédie
ces pages de Meurtre et de Sang."


C'est de cette façon qu'Octave Mirbeau dédicace le livre dont je vais vous parler maintenant.


Il ne s'agit pas d'un livre gai c'est le moins qu'on puisse dire, et il est sans doute préférable que les âmes sensibles s'abstiennent de le lire. 
C'est une oeuvre excessivement pessimiste, mais étrangement poétique dans toute son horreur.
Le livre dont je vais donc vous parler s'intitule Le jardin des Supplices , que l'on date de 1899 (date de parution).
Alors pour ceux qui aiment bien critiquer un peu tout ou qui sont juste très pessimistes, la lecture peut être sympa. Pour les autres... un peu moins sans doute. 
Avant de parler d'horreurs, il convient de mentionner les cibles du livre. Les personnes visées sont très clairement énoncées dans la dédicace du livre que j'ai retranscrite ci-dessus, et sont achevées au fil du roman. 
Alors il y en a pour tout le monde, personne n'est épargné, surtout dans la seconde partie du roman : Très largement satirique, le livre s'en prend:
    • Aux commerçants: voleurs et "arnaqueurs" 
    • Aux politiciens: démagogues et malhonnêtes
    • A la "justice": qui se met au service de la malhonnêteté et protège les mécréants
    • Au milieu mondain
    • Aux scientifiques
    • A la cruauté des hommes
    • Et à la colonisation! 
Si vous retrouvez dans cette liste des sujets qu'il vous plaît de critiquer, alors vous serez ravis de trouver dans ce livre un auteur d'accord avec vous!


[Le roman est un regroupement de trois textes écrits indépendamment les uns et des autres et à des époques différentes; du coup, on y trouve des univers très différents mais qui se complètent plutôt bien selon moi. 
Le livre se divise donc en trois parties: Le frontispice, En mission et Le jardin des supplices. 

     1.Frontispice 

Il s'agit d'une discussion entre amis. Après un dîner, un groupe d'amis intellectuels "optimistes" converse autour de la table. Il est question de la "loi du meurtre" et laisse présager la suite du livre

      2. En Mission

On découvre un personnage narrateur anonyme (que nous appellerons X pour des raisons pratiques), vecteur d'une caricature des milieux politiques de la IIIe République. Fils de commerçants escrocs selon qui le bon commerce consiste à "mettre les gens dedans", il se retrouve à la rue à la mort de son père. Il décide alors de se tourner vers un camarade d'enfance devenu ministre haut placé, Eugène Mortain. En possession d'anecdotes compromettantes pour la carrière politique de Mortain, X fait du chantage à ce dernier qui se trouve donc obligé de le traîner à sa suite dans les campagnes politiques ("ces milieux corrompus").  Cette 'alliance' avec le ministre donne lieu à une longue satire du milieu politique français qui prête à sourire. 
Pour la faire courte, Mortain souhaite se débarrasser de X qui lui fait de l'ombre pour sa carrière et enchaîne les faux-pas. Il lui propose donc un poste "d'exception" à Ceylan, où il devra mener des recherches scientifiques en tant qu'embryologiste. X, bien qu'hésitant accepte la mission qui lui est confiée.

S'en suit un récit de voyage où l'on retrouve X sur le bateau à destination de Ceylan. C'est selon moi sur ce bateau qu'à lieu le retournement de situation du récit, puisque c'est là qu'il rencontre l'amour en Miss Clara, une jeune anglaise résidente en Chine. J'ai trouvé dans ce passage une alliance intéressante de l'amour et de l'horreur qui persistera jusqu'à la fin du roman. En effet, X tombe amoureux de Miss Clara sur le bateau lors de la traversée de la mer Rouge, alors que la chaleur est insupportable et que le bateau semble s'être transformé en un Enfer indescriptible. C'est à ce moment précis je pense que l'auteur  a choisi d'associer le lyrisme, l'amour et la souffrance, ce qui semble alors présager de la suite du roman. Il tombe éperdument amoureux de Clara, et se décide, alors qu'il aperçoit la côte de Ceylan, de poursuivre le voyage et de partir avec elle vers la Chine. 

      3. Le jardin des Supplices

Après une ellipse, on retrouve les deux amoureux en Chine, et c'est à partir de ce moment là que le livre tourne au cauchemar. C'est précisément à cette dernière partie que les âmes sensibles peuvent fermer le livre. On découvre alors le vrai visage de Clara, lorsqu'elle insiste auprès de son cher et tendre pour aller "donner à manger aux forçats chinois". Elle l'emmène donc au jardin des supplices où toutes les pires tortures sont infligées à des innocents (Je vous laisserai feuilleter le livre ou parcourir les images en fin d'article si le détail de ces pratiques vous intéresse). Le lecteur fait alors la connaissance d'une Clara plus que perverse, sadique et hystérique qui atteint "la petite mort" en s'infligeant le spectacle de la torture des autres. C'est la partie du livre la plus difficile à soutenir puisqu'elle mêle érotisme et horreur sans jamais laisser de répit au lecteur. 
Je n'en dit pas plus... pour ne pas gâcher le suspens ;)]

Je ne vais rien vous cacher, on se sent parfois extrêmement mal-à-l'aise à la lecture du livre, mais c'est précisément le but recherché par Mirbeau. C'est un livre qui dérange bien sûr...extrêmement malsain dans tous les sujets qu'il traite, mais qui prête à réfléchir sur la cruauté dont l'homme est encore capable de faire preuve aujourd'hui.
J'ai trouvé très étonnante la façon dont Octave Mirbeau "casse" les accès d'horreur avec certaines parenthèses lyriques magnifiques... toujours dans l'alliance des extrêmes. 

Si vous aimez qu'un livre vous dérange, 
Si vous aimez qu'un livre vous donne mal au ventre
Si vous aimez qu'un livre montre ce qu'il ne faut pas montrer, et parle de ce dont il ne faut pas parler, 
Si vous aimez vous faire du mal (pour les sensibles), 
Si vous aimez qu'un livre soit une épreuve,
Vous aimerez Le Jardin des Supplices. 

Malgré le sujet un peu "hardcore", c'est un bouquin qui se lit vraiment facilement, pas difficile à comprendre. Il n'y a pas de "chichis" dans l'écriture et je trouve personnellement que le style est plutôt oral et donc devrait être accessible à un grand nombre de personne. Par contre, ce style "facile" est choisit par l'auteur sans doute pour enlever la barrière de la compréhension et laisser plus de place au malaise: logique, les scènes de torture sont elles aussi très explicites et faciles à comprendre. Donc facile à déchiffrer ne veut pas nécessairement dire facile à lire...



Voilà pour mon avis! Et si ça vous intéresse, je vous redirige vers un autre bouquin, beaucoup plus court et beaucoup moins dur je pense: Il s'agit de la nouvelle de Kafka A la colonie pénitentiaire , inspirée du Jardin des Supplices: un jeune étudiant en droit visite une colonie pénitentiaire aux pratiques un peu extrêmes. 
C'est la nouvelle de Kafka qui m'a d'ailleurs fait découvrir Le jardin des Supplices. J'ai préféré le livre d'Octave Mirbeau, sans doute parce que j'aime me faire du mal... hahaha!
Plus sérieusement, j'ai aimé le fait que certains passages du livre soient presque insoutenables à lire...j'ai eu l'impression d'un livre "épreuve" et ça m'a plu car j'aime qu'un livre ne nous laisse pas insensibles. 
Le style de Kafka est à mon sens plus "travaillé" ou en tout cas moins oral donc peut être moins accessible.. 
Vous l'aurez compris (et promis je m'arrête bientôt), c'est un oeuvre magnifique et très complète en ce qu'elle rassemble des univers très différents. On peut avoir l'impression d'une oeuvre hétérogène, mais les parties s'articulent bien entre elles et cette hétérogénéité permet de faire ressentir au lecteur tout un tas d'émotions différentes... En espérant avoir attisé votre curiosité... A bientôt ;) 

Supplice de la caresse

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